dernière étape

Cette année-là, j'avais voulu voir Honfleur, et j'avais vu Honfleur. À bicyclette. Bien bel ouvrage que ce pont de Normandie ! Au retour, l'avant-dernière étape prévue ce dimanche devait en principe me conduire de Sainte Suzanne, dont le terrain de camping se situe en contrebas de la petite cité médiévale à une trentaine de kilomètres à l'est de Laval, jusqu'au terrain de Vern d'Anjou, soit une vingtaine de bornes au nord-est d'Angers. Affaire tranquille me disais-je. L'étape du lendemain aurait du me permettre de rejoindre mes foyers nantais en prenant le temps de prendre le temps. Ce sont les vacances.

Instruit par des expériences dominicales et aoûtiennes antérieures, je pris soin de charger encore davantage les six sacoches en boustifailles diverses dès Meslay-du-Maine.

Dans la descente juste avant de rejoindre le petit bout de N 162, une bestiole non identifiée mais de taille respectable vint me frapper entre les deux yeux, juste au-dessus du pont des lunettes et juste en dessous de la visière du casque. Bien visé.

Le tenancier du bar de Château-Gontier me délivra gracieusement un glaçon dans une coupelle, glaçon que je m'appliquais avec soin pour calmer ma brûlure. Las ! Le glaçon n'y suffit point. Le gros insecte avait eu le temps de m'injecter quelque pernicieux venin avant de s'éclipser, ou d'aller expirer un peu plus loin. Je pus vérifier dans mon rétroviseur que j'avais en la circonstance un petit air d'Elephant Man. 

 

paisible Mayenne

N'étant pas sujet aux allergies, je ne m'inquiétais pas outre mesure. Je continuais mon parcours facilité par un vent porteur et un relief plus calme que les jours précédents.

Vern, me voici. Aucune indication à propos du terrain de camping. Je rejoignis le complexe sportif, (dont je ne souffre pas.) Deux ou trois caravanes closes étaient abritées à l'ombre près du terrain de football. L'absence d'indication sur les tarifs, le bouclage des vestiaires et le nombre nul d'âme en vie étaient de fort mauvais augure. Les deux dames à tricot en charge de la caisse de la piscine savaient seulement que le gardien n'était pas là le dimanche. Elles m'avaient répondu poliment mais je voyais bien à leurs mines que j'avais l'air bizarre. Je n'ai pas osé leur demander si c'était plutôt mon visage tuméfié ou plutôt mon équipage de cyclo-campeur qui les intriguaient. Ou les deux.

Il faisait chaud. Les bidons une fois remplis, je consultais la carte routière. Je résolus de rejoindre le camping de Saint-Mars-la-Jaille à 28 km à l'ouest, donc sur ma route, plutôt que celui du Lion d'Angers à 10 km, mais à l'est. Je me disais que le vent me pousserait gentiment.

De Vern à Candé, la route est en montagne russe. Le vent m'aidait moins qu'escompté dans les montées. Si les automobiles étaient rares en ce dimanche d'août, les lignes droites de plusieurs kilomètres commençaient à me paraître bien longuettes. Dans la traversée de Candé, l'idée d'une halte à l'hôtel me traversa. La tentation ne put se concrétiser, aucun n'était ouvert.

Je rentrais en Loire-Atlantique un peu avant St-Mars. De rassurantes indications me conduisirent droit au camping. Légèrement étourdi par la chaleur, la fatigue et la piqûre, je rejoignis directement les sanitaires pour y faire le plein d'eau fraîche. Un emplacement qui me sembla adéquat était libre. Je commençais donc à déplier ma guitoune. Un premier chien furieux, bientôt rejoint par un second, puis un troisième, vinrent me hurler aux oreilles tout le mal qu'ils avaient l'air de penser de moi. J'eus beau leur dire qu'ils n'avaient rien à craindre, je n'ai jamais mordu de chien, ils ne me laissèrent en paix qu'après que leurs maîtres les eurent rappelés.

Je m'apprêtais à ficher mes sardines quand une étonnante compagnie de volatiles divers, des oies, des canards et même un gros dindon mâle, arrivèrent de concert pour une aubade improvisée. Je me décidais à lever la tête pour regarder autour de moi. Le terrain n'était occupé que par des gens du voyage. Ceci expliquait cela. Les enfants arrivèrent ensuite. Les plus petits d'abord, têtes blondes et brunes, l'air curieusement grave. Ils me saluaient gentiment, et s'intéressaient aussi à mes menus objets disséminés ici et là. D'autres un peu plus grands arrivèrent à leur tour, et renvoyèrent marmaille et volaille à leurs occupations. Ce défilé commençait à passablement me lasser. Les enfants me faisaient des réflexions aimables sur mon beau vélo, me demandaient si j'allais passer la nuit ici, etc. et finirent par s'en aller aussi.

Alors, sans réfléchir, je pris mes cliques et mes claques, recomposais très rapidement mes sacoches et repartis. Tous les hôtels dans le bourg de St-Mars étaient fermés, sinon j'aurais cédé. Je fis le point au pied du pont sur l'Erdre. Je regrettais un peu mon départ précipité. Il m'est déjà arrivé de travailler au milieu d'un terrain de gens du voyage. Sans encombre. Le déroulement des événements démontrait que leur structure familiale était ordonnée. Je dus néanmoins reconnaître avoir préféré prendre la poudre d'escampette.

Le reste ne fut qu'une affaire de réorganisation de la sacoche de guidon pour y disposer à portée de main mon restant de provisions de bouche, d'enfilage de tous mes accessoires rétro-réfléchissants dès la tombée de la nuit, et de régularité absolue pour ne pas présumer de mes quelques forces restantes.

C'est ainsi que je suis arrivé à Nantes à 22 h, à la dynamo et vêtu comme un sapin de Noël, au terme d'une étape imprévue de 165 km de longueur et 14 h de durée, dont plus de 9 h 40 sur la selle. Pour un touriste à vélo qui fait d'habitude plus de tourisme que de vélo, ça m'a fait mon dimanche. J'ai très bien dormi. Trois jours de plus ont été nécessaires pour que mon visage retrouve son apparence habituelle. La vilaine bête !