Le vent était aigrelet, mais le soleil présent. Alors, on se couvre, on se met des mouchoirs dans les poches et on y va. J'avais prévu de ne pas sortir de la rondelle réglementaire des 10 kilomètres. Il peut m'arriver de lègèrement tangenter à l'extérieur. Comme presque tous les contrevenants, j'ai d'excellentes raisons de respecter à-peu-près la réglementation, surtout depuis que je suis diplomé de covidologie option 19. Et le premier niveau de sanction n'est pas très onéreux, guère plus qu'un repas pour deux personnes dans un restau sympa, où j'ai pas mal économisé ces temps derniers. Je n'arrive pas à me considérer comme un terroriste tout seul sur mon vélo à 10,5 km de mon domicile.
Voilà une gentille petite passerelle cyclable sur un cours d'eau. Les génies des Ponts, des esprits supérieurs et pompidoliens, avaient conçu de faire passer l'aimable Gesvres dans une grosse buse. Las, ainsi que le savaient fort bien les habitants du cru, des bouseux ignorants, le Gesvres se fâchait tous les hivers et débordait, refusant de respecter le débit impeccablement calculé. Et le périphérique était coupé. Rigolade des cyclistes qui criaient "vive la bagnole !" en klaxonnant joyeusement de l'Air Zound au vu des embouteillages. Nos beaux et grands ingénieux décidèrent enfin de casser les tuyaux pour remettre le gentil petit cours d'eau à ciel ouvert, en détruisant la passerelle de la piste cyclable au passage. Mais sans la reconstruire. Leur credo de pompidoliens, c'est la FTA, "fluidité du trafic automobile". La métropole a payé pour que les citoyens à pédales puissent passer là où les ingénieurs de l'Etat détruisent les ouvrages. Les routes à bagnoles que je n'utilise pas me coûtent une fortune en impôts.
Encore un pont, un grand haut, celui de la Jonelière, pour faire passer le tramway au-dessus de l'Erdre, et les piétons, et les cyclistes. La route FTA est en contrebas.
Beaucoup de gens croient que les pistes cyclables ont été complètement négligées en France depuis les années 1960, période du triomphe de la DS Citroën, avènement de la civilisation du camion, jusqu'aux années 1990. Que nenni. Dès le début de cette époque, on installa des pistes aux abords des collèges et des usines. L'idée était que le vélo, et peut-être plutôt la mobylette à l'époque, pouvait être utile aux jeunes adolescents et aux ouvriers, à ceux qui ne pouvaient pas accéder réglementairement ou financièrement à la supériorité bagnolarde. On en retrouve des traces de nos jours.
Une DS Citroën de 1957. Ce qu'en disait Roland Barthes dans Mythologies : "Je crois que l'automobile est aujourd'hui l'équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d'époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s'approprie en elle un objet parfaitement magique." "L'objet est ici totalement prostitué, approprié : partie du ciel de Métropolis, la Déesse est un quart d'heure médiatisée, accomplissant dans cet exorcisme, le mouvement même de la promotion petite-bourgeoise."
Depuis, nombre de petits-bourgeois trouvent ce gros tas de tôle complètement ringard. Ils se font honnir par les bourrins qui refusent que leurs contemporains aient fait évoluer leurs pratiques de déplacement et leur manière de vivre et penser l'urbanité. La pandémie aura été un accélérateur d'évolution, mais le changement était déjà en cours, y compris chez beaucoup d'aménageurs, élus et techniciens. Y'a pas que des Ponts.
Il n'y a pas de pistes partout. On peut alors traverser les lotissements dont les concepteurs ont subtilement prévu, pour les rendre plus urbains, des espaces de circulation entre les parcelles. Ils sont éventuellement difficiles à trouver, souvent encombrés de barrières inutiles et dangereuses pour les vélos, et serpentent dans des rues aux noms qui n'ont pas du susciter de débat politique majeur au conseil municipal, ici des Cocinelles, Belettes, Ecureuils et autres Chevrettes, sans oublier les Biches et les Loirs.Sans transition, on passe du pavillonaire coquet à la zone d'activités, étrangeté des confins de la grande ville prospère. L'avenue du Champ de Manoeuvres signe la présence antérieure de terrains à vocation militaire, aujourd'hui occupés par une maison d'arrêt. Les autres sigles m'ont semblé abscons. Que sont donc ces activités mystérieuses situées dans des grandes boites en tôle colorée où s'arrêtent de gros camions ? De quoi vivons-nous ? JSC, NOV-BLM, LGM, RBO, Marmox, Wirquin ? Was ist das ? Ah ! Une tôlerie... C'est rassurant quand on a vaguement l'impression de savoir ce que c'est. Tant qu'il ne s'agit pas de laboratoires P4... Je n'oublie pas être sous le régime du confinement Covidé.
Ce que j'avais pris sur la carte pour un tunnel sous l'autoroute, à l'image des tunnels agricoles sous les quatre voies bretonnes (les bretons n'ont pas voulu des autoroutes payantes des gouvernements gaulliens, et veulent toujours faire payer les autres pour polluer, foi de benêt rouge !), était en fait une passerelle. Les voies pour y arriver et la passerelle elle-même sont bien entretenues. Je crois reconnaître au sol le sigle vélo de la Métropole nantaise. Le bout de chemin prévu était encombré par un bidonville de populations allogènes quoique besogneuses. Faut bien que nos braves maraîchers aient de la main d'oeuvre corvéable et compétente. De là à les autoriser à habiter quelque part avec leurs familles, faudrait pas pousser non plus. On a toujours besoin de plus misérable que soi.
Faute de chemin, et la piste paraissant se prolonger le long de l'autoroute, j'empruntais cette piste, qui me mena au centre de la zone d'activités. Un très repérable château d'eau servait de support aux antennes. J'ai ouÏ dire qu'il existe un plan pour déplacer ces antennes, car nos belles réserves d'eau en magnifique béton grisâtre n'ont pas été fabriquées pour supporter le poids supplémentaire de plus en plus important des installations techniques.Ce simple chemin entre de vastes parkings déserts est correctement surfacé et s'achève dans de larges pistes cyclables au bord de rues parcourues lentement par de gros camions semi-remorques dont les chauffeurs sont le plus souvent aimables avec le cycliste. J'en profitais pour repérer quelques enseignes, un dépôt de chariots élévateurs Toyota, dont je ratais la photo d'un superbe camion étalant toute la gamme sur son flanc, U dont on aperçoit le dépôt droit devant, une marque de grande importance régionale à la présence obsédante dans nos campagnes, et Philips Respironics, qui fabrique des machines absolument indispensables à certains.
Entre un magasin de pièces de vélos et un garage automobile, un passage pour les piétons et cyclistes, dûment signalé comme tel sur les cartes spécialisées, et bien sûr barré d'une chicane idiote.
A force de redescendre, immanquablement, on arrive à la Loire. J'habite sur une ancienne île du fleuve. J'en suis parti. Je vais y revenir. Jusque là, je n'avais vu qu'un jeune homme pressé sur un vélo sans âge, rentrant du boulot sans doute. Sur ce bout de la Loire à vélo, aménagé pour avoir l'air bien peigné, avec toilettes et emplacement pour guinguette, où de rares automobiles avancent avec mesure et précaution, dans une nature complètement maîtrisée par les services des communes et de la métropole mais que les passants identifient comme "bucolique", "jolie" par opposition aux ZA et échangeurs traversés jusque là, le nombre de piétons, enfants sur des engins divers, draisiennes, trotinettes, et de cyclistes de tous âges, avec des maillots de vrais cyclistes à poches dans le dos, l'air décidé et la tête en avant, ou des doudounes de promeneurs à pédales assis tout droits, se font soudainement beaucoup plus nombreux.
Si je regarde à droite, je vois un défilé bruyant de véhicules sur le pont du périphérique. Je regarde à gauche, et je vois le ruban d'argent du fleuve Loire (Jean de la Fontaine) et la promenade de Bellevue que le site de la mairie de Sainte-Luce-sur-Loire présente comme le Trentemoult local. Ils se la jouent un brin. Mais oui, la promenade de Bellevue est un lieu agréable.
Encore un peu de tricot, un point à l'endroit, un point à l'envers, dans les échangeurs de Bellevue sud, et j'aborde la montée vers Haute-Goulaine. Tiens, on dirait des chevaux de Przewalski. Les photos à la volée, prises avec un pocket numérique, ne sont pas toujours de bonne qualité. J'en ai pioché une autre ailleurs.Ce cheval de Przewalski ressemble à ceux représentés par nos lointains ancêtres. Quels artistes ! Ici à Chauvet.Le chemin blanc le long de cette autoroute a été refait voici peu de temps. Barré à son extrémité car déboulant sur une piste cyclable, il est bordé d'une station d'épuration, et donc c'est logiquement par là qu'on a disposé une aire d'accueil pour les gens du voyage. Cette sorte d'allogènes antérieure se voit offrir dans 80% des cas selon l'étude d'un juriste issu de cette communauté des terrains dans des zones dont on ne voudrait pas pour y installer un chenil, car trop pollués et loins de tout. Voici quelques années, j'étais souvent tout seul sur cette portion pourtant la moins pentue et la mieux sécurisée pour monter de la vallée du fleuve à Haute-Goulaine à vélo. Depuis l'aménagement du chemin, j'y croise toujours un voire plusieurs cyclistes. C'est bien. On voit aux nombreuses traces de roues sur toute la largeur que le chemin est devenu une voie cyclable fréquentée.On y a mis aussi une installation technique. Dont une boite mystérieuse.C'est quoi ça ? Là, j'ai cherché. C'est un tableau général basse tension équipé d'une protection contre la foudre. Les techniciens adorent les sigles. Comme les notaires et les économistes aiment le latin, et comme les médecins inventent des mots mystérieux. Oui, oui, je sais, c'est du vocabulaire, c'est-à-dire des termes spécifiques à un corps de métier correspondant à des concepts précis et répondant à des définitions rigoureuses. Ou alors il se la pètent. Ou les deux.
Et à quoi ça sert ? A l'antenne au-dessus. Serions-nous en train de sortir de la civilisation du camion et du porte-container pour entrer dans l'ère de l'antenne, ou bien les deux vont-elles coexister ? Les historiens débattent.Avec mon gros vélo à demi nucléaire pour la propulsion et dépendant des satellites pour le guidage, je suis dans cette civilisation.
Bizarre, ils ont ajouté des pistes cyclables par ici, mais d'un côté seulement de la route. Que je suis bête, la piste est du côté du lycée. On tourne à droite pour redescendre, et... ben c'est quoi ça ? La dernière fois, y'avait rien là. Que des maisons neuves. Pas si petites, mais sur des petits terrains. Juste la place pour mettre le pseudo 4x4 devant et à peine une balançoire derrière avec un muret autour, et pas un arbre à l'horizon. Ma trace enregistrée montre mon hésitation. Là aussi, on a évité le débat oiseux. Que des noms de peintres pour ces rues neuves, ça nous change des noms d'oiseaux et autres bestioles à poils : Paul Cézanne, Camille Pissarro, et deux femmes, Mary Cassatt et Berthe Morisot. Ils ont réussi à caser deux femmes, mais ça manque de diversité. Le politiquement correct est une oeuvre de longue haleine.
Un peu plus inattendu : l'obélisque de Saint-Sébastien-sur-Loire. Elle est située rue de la Pyramide. Si, si. Cette rue de la Pyramide doit être là depuis un moment. Elle présente la particularité de commencer d'un côté du périphérique et de s'achever de l'autre. Il lui en manque un bout. La tranchée du périph l'a mangé.
Du cimetière paysager, allée de la Camargue, au lycée des Savarières, qui borde les Pas Enchantés, on pourrait descendre sans y penser s'il n'y avait, encore et toujours, ces chicanes qui perturbent le passage. Je comprends très bien qu'il y ait nécessité de ralentir les cyclistes trop pressés et parfois imprudents, surtout les néophytes aux machines rapides car disposant de petits moteurs d'appoint, mais ces chicanes sont trop serrées.
S'en tenir à une allure mesurée est une nécessité en empruntant ces passages mixtes piétons-cyclistes où les petits enfants et les personnes âgées doivent pouvoir aller et venir en toute tranquillité. Il n'est pas interdit de sourire aux piétons que l'on laisse passer. Il n'en demeure pas moins que ces fichues chicanes, là en version modernisée à croisillons sont excessivement gênantes pour le passage normal des tricycles, tandems, vélos-cargos, remorques et même des vélos urbains traditionnels chargés de sacoches latérales. Les néo cyclistes vont devoir s'urbaniser et respecter les piétons entre les habitations, et les aménagements cyclables vont devoir évoluer pour tenir compte des nouvelles pratiques et nouvelles machines. Certaines existaient depuis longtemps mais les aménageurs, intelligents et précurseurs comme des génies des Ponts, ne voulaient pas les voir. Au passage, le lycée technique des Savarières prépare aux métiers de l'horlogerie et de la prothèse dentaire. Ce n'est pas si courant, et ce sont là de bien beaux métiers pour des gens habiles.