Ah tiens, mais vous avez une assistance !

L'ami PIano 44, avec qui nous échangeons nos bilans annuels, me disait qu'il avait augmenté son kilométrage de 25% et s'approchait des 6000 bornes cette année avec son magnifique tricycle surbaissé depuis l'installation d'un petit moteur d'appoint. Mais il ajoutait Mon égo en prend quand même un coup quand un cycliste ou marcheur me fait une remarque compatissante, voir même ironique : ‘’ Ah tiens, mais vous avez une assistance !  ''. Tu noteras qu’ils ne disent pas moteur, mais assistance. L’ironie est bien pesée.Tricycle bbsL'augmentation notable du kilométrage est un effet secondaire très fréquent de l'électron prescrit aux cycles à pédalage. Le petit cylindre noir ajouté au boitier de pédalier (et d'autres fois au milieu d'une roue) contribue au plaisir, à l'augmentation des voyages avec des ami-e-s et à celle des sorties dès que l'éclaircie pointe un rayon.

Nos amis marcheurs ou cyclistes ont intégré la propagande distillée depuis la fin du 19ème siècle sur le sport. Leur ironie, comme souvent, est l'expression d'une pensée simpliste. Ils n'y ont pas réfléchi. Ils ne savent pas ce qu'est une aide au pédalage, ou croient savoir ce que c'est parce qu'ils ont essayé une fois un vélo électrique et pensent qu'ils sont tous semblables. D'autres confondent le vélo électrique avec une mobylette, un solex, un segway ou une trottinette, ou bien en ont entendu parler par leur beau-frère à la fin d'un repas. Ils ne sont pas entrés dans la finesse technique des différences pourtant très sensibles entre ces nouveaux engins et les anciens, ou entre les contrôleurs proportionnels, de vitesse ou de puissance. Ils ne peuvent pas savoir comment chacun se sert de son vélo, avec quel niveau de puissance, ni même pourquoi on a une aide.

Avoir une "raison" d'avoir un moteur d'appoint, genre handicap, ne change pas grand chose sur le fond. Le sportif se fait plus magnanime, mais ne sait pas plus comment ça marche. Il se sent quand même un point commun avec l'estropié, le "mérite", valeur morale fréquemment vendue sous le même blister que le sport de compétition. Le sportif est comme l'était jadis en sortant de l'église (le jogging a remplacé la messe) une dame de charité qui donnait quelques sous à une mère méritante travaillant dur pour nourrir sa progéniture, de futurs domestiques aux valeurs morales appropriées, et voulait excommunier, littéralement exclure de la communauté, ceux qui demandaient bruyamment l'instauration d'un impôt pour mieux équilibrer les richesses.

Avec une infirmité visible, on risque moins le bûcher. Dans leur imaginaire, le vélo est affaire de mérite, de combat, de lutte acharnée, un truc d'homme, viril, musculaire, sauvage, où l'on affronte les éléments, les côtes, où l'on combat contre les autres afin d'arriver le premier grâce à ses gros muscles, sa belle santé obtenue avec des sacrifices et beaucoup d'efforts à l'entrainement, sa primitivité sans tâche, et donc sans assistance. C'est ça, exactement comme dans une publicité pour un parfum pour Homme où l'on nous vend exactement le même imaginaire, qui fait rire quand on regarde ce que sont réellement nos vies.

Ils ne se rendent pas compte qu'ils pensent comme dans les années 1930, fort heureusement le plus souvent sans la méchanceté, la violence et la volonté de pouvoir de l'époque. Toutefois, le mépris et la condescendance à l'égard des assistés, ou ceux qu'ils prennent pour tels, est typique d'une pensée tendanciellement inquiétante. Confortablement installés dans leurs certitudes, ils ne se posent pas de questions ni sur le comment ni sur le pourquoi, ni même sur leur quotidien et le sport..
 
Ils ne voient pas qu'ils se déplacent en automobile, en train, en avion, en escalier roulant, en métro, en autobus..., peut-être bien plus que ceux qui font du vélo électrique. Ils séparent toutes leurs autres activités du sport. Ils ne veulent pas voir non plus que, dans toutes ces activités de tous les jours, ils sont sans cesse et considérablement assistés par les machines, dans les transports, au travail ou chez eux (robots de cuisine, lave-vaisselle...). L'assistance permanente est devenue si évidente qu'elle est invisible et impensée. A l'inverse, le sport serait un temps où le primitif reprendrait ses droits comme à l'époque où les humains vivaient en petits groupes s'abritant dans des cavernes. Des randonneurs pédestres se rêvent en sauvages en parcourant des sentiers créés, balisés et entretenus par les services techniques des collectivités locales avec l'argent des impôts.
 
Le vélo sans moteur lui-même est plutôt du côté du Malin. Il permet d'aller trois fois plus vite en ne se fatigant pas plus qu'en marchant tranquillement. Le dérailleur est diabolique, il autorise le franchissement des côtes sans s'épuiser. Ils n'y pensent pas. Notons que le dérailleur et la roue libre ont mis des années et des années à être autorisés au Tour de France alors que les cyclotouristes s'en servaient. Le vélo couché n'est pas autorisé en course. Trop aérodynamique. Décidément, Piano 44 a tout faux. Son matériel est indigne de la sportivitude.
Propulseur
 
En fait, nous ressemblont énormément à nos ancêtres. Les femmes et les hommes de l'âge de pierre n'ont cessé d'inventer pour économiser leurs moyens (propulseur puis arc pour chasser par exemple). Il étaient sociables et solidaires. Leur pensée symbolique était développée, leurs mythes fort riches. Leurs bijoux et leus vêtements étaient raffinés. Ils étaient des artistes de grand talent. Rien à voir avec ce qu'on nous a vendu comme étant du sport.
Bestioles prehistoire
Le petit moteur d'appoint va continuer tendanciellement à progresser. Les cohortes de retraités en pleine santé d'aujourd'hui sont les régiments de grabataires de demain. Entre les deux, l'assistance électrique pour les vélos trouvera sa place. Dans les villes, les vélos à moteur d'appoint font partie des nécessités pour les transports. 
 
De manière certes caricaturale, parce que sans entrer dans le détail et les nuances qu'il serait plus long de développer, il me semble exister deux tendances idéologiques dans les activités physiques de masse.
 
La première est celle de la compétition, du virilo-musculaire. C'est le côté "sauvage" et mâle, le temps social soi-disant hors assistance. Par nature, il est fait de mépris et de sentiment de supériorité, il donne lieu à l'expression parfois effrayante de la bêtise et la détestation de ce qui est différent dans les spectacles de masse. Bien sûr, les pratiquants peuvent être des gens charmants et intelligents, j'en  ai connu plein. Les sportifs de compétition sont archi minoritaires dans les faits, mais très visibles dans les médias et les discours.
 
La seconde est plus féminine, axée sur l'activité sociable et culturelle, le plaisir de la vie en société, de la promenade et du bien-être social, corporel et moral. Elle est super majoritaire dans les faits, mais minoritaire dans les têtes. Je me désole par exemple que la Fédération de cyclotourisme veuille devenir une fédération de vélo. Je ne suis pas un vélo. Je suis un humain, un cyclotouriste. Le vélo est une machine, le cyclotourisme une activité sociale.
 
Les pratiques et idées de la première et la deuxième conception sont présentes en même temps dans les fédérations, les groupes, et sans doute aussi dans ma propre tête, mais la propagande permanente en faveur de la première pollue la seconde et bouche la vue d'un grand nombre de nos contemporains. 
 
Et maintenant amusez-vous à classer les disciplines et activités dans chacune de ces deux catégories. Elles existent depuis l'origine des activités physiques récréatives. D'un côté les compétiteurs, le sport, les musculaires qui regardent les autres de haut, les individualistes, le spectacle et les puissances d'argent qui en profitent. De l'autre côté les hygiénistes, les partisans de la santé physique et morale, les solidaires, ceux qui se baladent en groupe, apprécient les plaisirs esthétiques des paysages et de la photographie, attendent les plus lents, s'arrêtent pour prendre un café ou, pourquoi pas, acheter une pâtisserie. 
 
Dans la seconde conception, un petit moteur d'appoint peut être bienvenu pour se promener, si on en a envie. Le choix inverse est tout aussi honorable. 
 
Après des années de tentatives de discussions avec des sourds aveuglés, je me contente le plus souvent de laisser dire, sur ce sujet comme sur d'autres. Je roule pour moi avec mes copains et au diable les fâcheux. Mieux vaut retournez voir en bonne compagnie cette magnifique chapelle construite sur des thermes gallo-romains.
01 st barthelemy 1
Y'a des assistés, d'autres pas, et tout le monde s'en moque... Ils ont visité la chapelle et sont en train de pique-niquer au soleil.
 

Toujours en faisant simple (ah ouais ?), on pourrait dire que beaucoup de personnes confondent le sport et le loisir. Ils appliquent au loisir les idées du sport, parce que le sport fait sans cesse de l'écho dans le bruit médiatique, et est donc plus présent dans les têtes à force de bourrer les crânes. Les valeurs du sport sont basées la concurrence (entre individus, villes, pays, firmes...) et celle du loisir sont conviviales. Avec un vélo de ville, un coursier en carbone ou, à la rigueur, mais ça c'est vu, une monoroue électrique, si la personne a bon esprit elle sera très bien en loisir. Ceux qui pensent le contraire et font des réflexions déplacées sont juste des ... (musculaires ?).

Monoroue elec

Ah tiens, mais vous avez une assistance !

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