vélo de l'âge du fer

Je suis un cycliste de l'âge du fer. Ceux de l'âge du carbone, et du titane, se nourrissent du nectar contenu dans de petits récipients en plastique emportés dans les poches de leurs maillots colorés. Ces libellules atteignent le haut des côtes en ahanant, le contrôleur cardiaque bipant d'affolement et dévalent l'autre face à tombeau ouvert avant d'attaquer le bout de plat jusqu'au camping-car. Le vélo léger oblige à l'usage d'un moyen de transport tiers.

Le vélo en fer est autonome. Son cavalier se dope au saucisson et marche à la baguette. Bardé de sacoches contenant beaucoup de nécessaire et un peu de superflu, il est paré pour affronter sereinement tous les temps, tous les vents, tous les reliefs. Le vélo en fer a de la lumière, des garde-boue, des braquets pour grimper aux arbres et des outils en cas de pépin. Le vélo en fer peut aller seul, assuré qu'il est de ses capacités.

Le voyage à vélo en cyclo-camping est la quintessence du vélo en fer. Lourd, forcément lourd, il ne pardonne aucun des écarts de conduite qui sont l'apanage et la raison d'être du vélo en carbone. L'accélération est à peu près impossible, le sprint aberrant et l'œil sur la moyenne encore plus ridicule qu'à l'habitude.

Pourtant le vélo lourd requiert moins d'« aptitudes sportives » que le vélo léger. Le poids n'est pas un handicap mais une limite facile à éprouver, pour le plus grand plaisir du voyage. Arriver en haut de la côte se suffit à soi-même. Peu importe en combien de temps et à quelle vitesse. Rouler contre le vent implique le choix d'un développement qui permettra d'avancer sans entamer les forces qui serviront tout à l'heure, demain et les jours suivants.

vélo de l'âge du fer et dolmen breton

Le vélo lourd n'est pas plus fatigant que le vélo léger, au contraire. La légèreté du vélo incite à pousser les feux, à appuyer plus fort, à aller plus vite. Le gain de temps est évident, mais l'organisme s'épuise à ce jeu sans autre enjeu que l'orgueil imbécile de participer au grand mouvement déshumanisant de la rentabilité généralisée. Débarrassé du cinéma dans la tête, du modèle de la compétition, le passager du vélo lourd va son chemin. Imaginerait-on un randonneur pédestre se mettant à courir son sac sur le dos et son bâton à la main sous prétexte d'arriver plus tôt au refuge ? Le randonneur à vélo en est plus proche que du compétiteur et du couraillon.

Par expérience, je sais perdre environ le quart de ma vitesse moyenne en passant du vélo non chargé au vélo chargé. Ce n'est qu'une indication. La perte est plus grande si la pente ou le vent me contrarie. Elle est ce qu'elle est.

Au bout de trois ou quatre jours, l'accumulation de l'usure musculaire aidant, le vélo lourd plafonne. Le barrage du poids contraint à l'usage du plateau de montagne dès qu'on aperçoit un faux-plat. Le contrôleur cardiaque le confirme. Les valeurs moyenne et maximale chutent avec la vitesse, malgré le poids, ou plutôt grâce au poids.

Ainsi, le vélo lourd convient mieux aux petits gabarits, à ceux qui utilisent autant leur tête que leurs jambes (quand on n'est pas fort, il faut être malin), à tous les économes de leurs moyens. Le vélo lourd est féminin. C'est une bicyclette (le vélo sent la sueur du prolétaire et du sportif, la bicyclette sent la lavande et le jasmin, le jupon en dentelle et le pain frais). Il requiert et impose la persévérance, l'intelligence et la gestion raisonnée de ses efforts. Il incline à la flânerie, au voyage, au plaisir de se mouvoir avec mesure. Le vélo lourd est touristique et non violent.

Le vélo lourd est donc à conseiller aux cardiaques, aux débutants, à tous ceux qui ont peur des côtes. Je charrie un peu. Mais à peine. Il est vrai qu'il faut quelques kilomètres dans les mollets avant de se lancer. Rouler à quinze à l'heure est, dans mon cas, une moyenne très générale et peut, certains jours, être un maximum.

du temps des panneaux en fonte, la précision était de mise

du temps des panneaux en fonte, la précision était de mise

Le vélo en fer est synonyme de lenteur et de modestie, les adeptes du vélo de l'âge du carbone le supportent difficilement. Les vieux cyclotouristes conservent leurs vieux vélos en fer, moins « performants » sans doute, mais tellement plus sûrs, plus confortables et plus adaptés à leurs possibilités. Ils ont bien raison. Vélocio écrivait aussi : « le meilleur rendement d'un cyclotouriste ne s'obtient pas nécessairement sur le vélo qui a le meilleur rendement ».

Tout est relatif. Un vélo lourd n'est pas nécessairement une charrue. Mon VTC pour la ville accuse 16,5 kg sur la balance. C'est respectable. Le cadre épais, les bases très longues, les roues pesantes rendent cette machine très sûre, mais aussi inerte et fatigante. La position unique, bras écartés, buste droit, ne me convient pas pour des pédalées de plusieurs heures. Le chevau-léger de la bande, avec ses fins pneus de 700x23 et ses garde-boue en carbone dépasse à peine les 11 kg. Quant à la mule de cyclo-camping rouge Ferrari, sans pompe ni sacoches ni porte-bagages surbaissés, elle pèse moins de 12 kg. Le fer du cadre ne fait que 4/10e de millimètre d'épaisseur. La différence de poids avec le 700 tient aux pneus et aux chambres à air (32 mm de large), à la dynamo et aux garde-boue chromés. Sans ces accessoires, je ne serais pas surpris que mon vélo « lourd » soit moins lourd que mon vélo « léger ». Nous sommes quand même bien loin des six ou sept kilos tous mouillés des carbones et autres titanes.

Le poids du vélo n'est qu'un critère subsidiaire d'achat. L'engin doit pouvoir aller loin, par tous les temps sans engendrer de soucis mécaniques. Son passager s'y sent bien et n'a aucune douleur parasite. Ensuite, mais ensuite seulement, il a le meilleur rendement possible, où le poids a son intérêt. Les vendeurs qui connaissent les besoins du voyageur à vélo sont rares. Dites au marchand qu'un développement inférieur au tour de roue sur un vélo de route vous est indispensable, soit, sur un 700, un rapport genre 24/28 (1,80 m) ou 26/30, ou 28/32, ou encore, sur un 650 20/23 en 32B (1,75 m), et regardez attentivement sa réaction. Bien sûr, on peut faire avec de plus gros développements. On en reparle après six heures de route vent dans le nez sous la pluie, trente côtes dans la journée et dans une bosse à 10 %.

Le poids n'est pas un ennemi. Jusqu'à un certain point, variable selon les individus, il est même un allié. On s'y habitue. Ou alors on reprend son vélo léger et sa voiture. Mais ce n'est plus la même histoire ni le même voyage. Et ceci ne nous regarde plus.

le poids est un critère subsidiaire

le poids est un critère subsidiaire

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Pour des informations techniques sur le fer, ou plutôt l'acier, dans le vélo, voyez le site Tandem Noir d'un couple de nantais férus de tout ce qui tourne autour et sur le vélo.