"Dis, Tonton, c'est encore loin l'Amérique ? Tais-toi et nage !" Pour évaluer le temps de parcours restant, il nous a fallu trouver des méthodes de calcul mental. Je dis « nous » parce qu'évaluer l'heure d'arrivée est un travail collectif. Les arithméticiens peuvent faire l'économie de ce qui suit, les autres en tirer profit, peut-être.
Comme disait ma maman, l'arithmétique est une petite mécanique qui donne la colique à tous les catholiques, mal aux dents à tous les protestants, et mal au ventre à tous ceux qui veulent l'apprendre. L'arithmétique est parfois bien pratique, et peut éviter d'avoir à être désagréable : "c'est encore loin l'arrivée ? Tais-toi et pédale !" Je commence par les calculs dans un tableur, parce que c'est plus « mode » de nos jours.
Le tableur permet de moins se prendre la tête en route avec le papier dans la poche où le résultat des calculs sera déjà imprimé. Il est préférable que le papier soit dans le lecteur de carte sur la sacoche de guidon. L'aspect pratique en prend un coup si la vitesse n'est pas celle prévue. Tout recompter devient obligatoire, et si on ne sait pas faire... Savoir évaluer de tête autorise également à éviter les aberrations qui ont vite fait de se propager en tirant les formules du tableur. On trouvera en deuxième partie quelques méthodes possibles de calculs de tête pas inutiles en route. En voyage, on compte à peu près toujurs de tête, parce que le parcours est souvent imprévu, et qu'on se promène pas avec un dictionnaire des temps de parcours.
Dans la feuille de calcul d'un tableur.
Les nombres proportionnels et les additions successives fonctionnent plutôt bien dans le cerveau humain qui s'accommode des nombres entiers. Le mien certes, mais sans doute pas seulement le mien. Quand je regarde « des chiffres et des lettres », ou en jetant un œil dans les principes de la division égyptienne, j'y vois comme des ressemblances avec nos méthodes de calcul de tête. Le tableur permet d'utiliser des nombres à virgule. Toute la question est la traduction des décimaux en sexagésimaux, peut-être parce que je ne sais pas utiliser les formats heure et date dans les tableurs.
À 18 km/h, mon tableur calcule aimablement que 78/18=3,3333. Je sais bien que 0,3333, soit un tiers d'heure, font 20 mn, et donc que le total fait 4 h 20. Comment l'automatiser ? J'ai décomposé. Un matheux ne pourrait que faire mieux, mais mon truc marche, et contribue à permettre d'être un capitaine de route honorable. tableau1
La colonne C peut disparaître à l'impression en la masquant, ou en choisissant des caractères blancs sur fond blanc. La colonne B peut aussi être virée, en incluant la donnée dans la formule (ici 78/18). Pour tenir compte des arrêts, il suffit d'ajouter là où c'est opportun le temps prévu. Un arrêt de 20 mn est égal à 0,33, un arrêt d'une demi-heure à 0,5. tableau2
Le tableur aidant, des colonnes peuvent être ajoutées. On peut prévoir plusieurs allures (18 et 20 km/h par exemple), et/ou prendre en compte le temps cumulé et le temps restant. Le temps cumulé est intéressant pour calculer l'heure de passage, et donc de départ à différents endroits du parcours, très utile pour fixer des rendez-vous. Au lieu de partir de 0, on démarre de l'heure de départ. Le temps restant se calcule par rapport au kilométrage restant, sans oublier les temps de pause intermédiaires.
Voilà un exemple de ce que ça peut donner : exemple tableur
et donc de quoi résoudre les questions métaphysiques qui taraudent tout cyclotouriste normalement constitué.
- Combien de km restent à accomplir ?
- Où prendrons-nous le café et le pain au chocolat ?
- À quelle heure on mange ce midi ?
- Etc.
Un tableur du même genre peut aussi servir pour organiser un séminaire avec de nombreuses interventions et des pauses. Il suffit alors de transformer les minutes sexagésimales en heures décimales (par exemple 10 mn=0,1666 heures), plus pratique pour additionner, et retransformer sur le principe ci-dessus le résultant des additions décimales en heures et minutes sexagésimales. Et hop !
Calculs de tête.
Les méthodes de calcul mental sont plurielles. Notre problème à vélo, c'est que nous ne disposons ni de cailloux (calculus veut dire « petit caillou » en latin) ni de jetons, ni d'abaque, ni de calculette, ni de papier. Nous n'avons que notre capitulum (petite tête). Ce que je propose ci-dessous est de même nature que ce que font les enfants qui ne connaissent pas encore la technique de la division, mais ont déjà compris les nombres proportionnels et pratiquent les additions successives. Ils n'ont pas la technique mais ils ont l'intelligence, c'est pas parce qu'ils sont petits qu'ils sont bêtes. À plusieurs ça marche mieux. L'un peut faire les calculs et l'autre mémorise les résultats. Deux autres peuvent appliquer une autre méthode, ensuite on croise. À vélo, on a largement le temps d'y penser tranquillement. Avec l'entrainement, on y arrive tout seul.
Trois minutes au kilomètres, et un tiers baladeur.
Si l'on accomplit 20 kilomètres en 1 heure, soit 60 minutes (il me semble), chaque kilomètre prend 3 minutes. S'il reste 45 km, 45x3=135 mn, soit 2 h et 15 mn. En pour de vrai, il peut y avoir des intermédiaires dans ce calcul mental :
d'abord 45 = 40 + 5, donc 40x3=120 et 5x3=15, soit 120+15=135,
ensuite on se met en tête (par cœur ! Dans un monde sans écriture, la mémoire est importante) la série 60mn=1h, 120mn=2h, 180mn=3h, 240mn=4h, 300mn=5h
puis 135-120=15 et comme 120mn=2h alors 2 h et 15 mn.
Ça marche aussi pour les voitures, à 60 km/h le km dure 1 minute, à 120 km/h deux fois moins. À la vitesse de la lumière, 300000km/s, je demande un temps de réflexion complémentaire. En vélo lourd, on fait au pire (encore pire est souvent possible) du 12 km/h et, au mieux (pour moi c'est un souvenir) du 18 km/h. Tablons sur trois allures : 12, 15 et 18 km/h :
à 12 km/h 60/12=5, soit 5 mn au km
à 15 km/h 60/15=4, soit 4 mn au km
à 18 km/h 60/18=3,33, soit 3 mn et 1/3 au km.
Par exemple, mes 45 km de tout-à-l'heure, à 18 km/h se font en... euh... Ma maîtrise de la table de multiplication de 3,33 n'étant pas parfaite, il faut trouver autre chose.
La première méthode.
18 km = 1 h
36 km = 2 h
45-36=9, et 9 est la moitié de 18,
9 km à 18 km/h s'accomplissent donc en une demi-heure
il nous faudra donc 2 heures et demi pour faire 45 km.
S'il y a davantage de kilomètres, disons 78, il faut juste un peu plus de mémoire. On peut additionner par tranche de 18, une tranche étant égale à une heure : 18, 36, 54, 72, donc 4 heures. Après on regarde ce qui reste 78-72=6, soit un tiers de 18, donc un tiers d'heure, et au total 4 heures et 20 minutes. Youpie !
La deuxième méthode.
Plutôt que des additions successives, il est possible de penser multiplication
18 est égal à 20-2, donc 4x18 = (4x20)-(4x2) = 80-8 = 72. Donc 4 heures déjà.
Ou bien 18 est égal à 15+3, donc 4x18=(4x15)+(4x3)=60+12=72. Donc 4 heures au moins.
Puis les 6 km restants se font en un tiers d'heure (18/6), donc en 20 mn.
Total : 4 h 20 mn. Ouf ! Pareil...
sans aucun rapport avec la page, mais ça repose...
La troisième méthode.
Décomposer les 3 et les 1/3, soit toujours pour 78 km à 18 km/h : (nombre de km x 3) + (nombre de km x 1/3). Si 78x3 semble un peu gavant, on peut tenter les additions ou multiplications : 75+75=150 et 150+75=225
ou bien 150+50+25=225 ou 3x75=(3x50)+(3x25)=225
puis 3x3=9
et 225+9=234, à mémoriser, par le compagnon de peloton au besoin.
Ensuite le tiers de 78 fait un peu plus de 25 car 3x25=75
et le tiers du 3 restant est 1,
donc 25+1=26, à mémoriser.
J'additionne mes deux chiffres mémorisés 234+26, et j'obtiens 260
je reprends ma série 60, 120, 180, 240, pour 1, 2, 3, 4 heures,
soit 4 heures et 20 mn. Chouette ! L'erreur est juste... Ou bien je me suis planté partout (ça arrive).
La quatrième méthode.
Approximative, mais souvent suffisante puisque le calcul est limité à l'évaluation. Elle est basée sur le fait que 17,5 km/h (pas loin de 18) est juste entre 15 et 20. Si ! Si ! J'ai vérifié !
Le temps à 20 km/h, c'est le nombre de km x 3, donc 78x3 ou (75x3)+(3x3), et d'autres décompositions possibles, résultat à mémoriser : 234.
Le temps à 15 km/h, c'est le nombre de km x 4, donc 78x4 ou 78+78x2, ou 78x2x2, et d'autres décompositions possibles, résultat à mémoriser : 312.
Je rassemble mes résultats mémorisés : 234+312=546, ou 200+300+34+12=546, que je divise par 2 et j'obtiens 273 mn, soit 4 heures et 33 mn. À 13 mn près, c'est presque bon. Pour diviser par deux sans avoir à retenir les retenues, je peux faire 500/2=250 + 46/2=23, total 273.
On peut trouver de la même manière le temps à 25 km/h qui est à la mi-temps entre 30 km/h et 20 km/h. Et une fois qu'on l'a identifié, on peut recommencer pour trouver le temps à 27,5 km/h (entre 25 et 30), ou à 22,5 km/h (entre 20 et 25) soit l'allure des brevets Audax. Les brevets cyclistes organisés selon la formule Audax sont des randonnées effectuées en groupe. À l'origine le terme Audax (du latin signifiant audacieux) désignait uniquement les cyclistes capables d'effectuer 200 km entre le lever et le coucher du soleil. Henri Desgrange créa en 1904 les Audax Français pour relancer le grand tourisme sportif à bicyclette.
Un brevet Audax est une épreuve de régularité et d'endurance sur une moyenne roulante de 22,5 km/h. C'est juste une info parce que je cause « 22,5 » ; rouler à 22,5 km/h de moyenne hors arrêts a toujours été au-dessus de mes capacités, même en restant caché derrière un capitaine. Tout au plus, il me serait possible de faire ce type de brevets à l'allure minimum, soit 14 km/h environ arrêts compris, en bénéficiant de l'aide d'un « compagnon charitable » (article 7.2 du règlement, je n'invente pas !) ou pas. Les Audax ont beaucoup d'intérêt à mes yeux : le groupe solidaire, la régularité, les temps de pause, l'allure maximale, bref, une pratique assise sur des valeurs, sans esprit de compétition.