L'affaire Festina, et plus encore les réflexions qu'elle suscitait à l'égard des cyclistes, m'avait passablement agacé. La surdose de gugusses en short qui se congratulent en se roulant sur des pelouses le dimanche à la télé m'incite à changer de chaîne. Le point de vue il est vrai manque de nuance. C'est parfois le cas.
Je n'ai jamais aimé le sport. À l'école, cavaler d'un bout à l'autre du préau, ou ramasser un foulard avant de se carapater dans son « camp », ça me gonflait. Ce n'est pas cavaler ou me carapater qui me posait problème, au contraire. J'aimais bien me bouger avec mes pieds le plus vite possible. Le faire dans un espace limité, avec un grand barbu qui sifflait quand on ne faisait pas selon les « règles », ça m'emmerdait souverainement. Les parties de foot interminables, sans arbitre, avec des compositions variables fonction des départs et arrivées des uns et des autres, un résultat dont tout le monde se contrefichait, ça c'était plaisant. À l'armée, j'étais tellement bon en « sport » que les jours de manœuvre, ils m'affectaient à la garde du bâtiment, pour que je ne sois pas un boulet pour le reste de la troupe.
Je n'aime pas non plus le libéralisme, système économique où quelques-uns uns ont gloire et fortune (les gagnants) pendant que les autres (les perdants) sont laissés pour compte. Le parallèle idéologique et historique entre les deux me semble aller de soi. Sport et libéralisme se sont développés dans le même espace à la même période. L'instruction républicaine a fourni des ouvriers qualifiés, le sport des travailleurs et des soldats en bonne condition.
Je me contrefiche de savoir que je partage cette idée avec l'extrême gauche, que je n'aime pas beaucoup non plus. Le sport, la compétition, le dopage et le fric me donnent des boutons. « J'aime, j'aime pas, c'est un peu court, jeune homme », oui, mais c'est comme ça, et c'est très individualiste, je préfère choisir mes règles et les appliquer de manière approximative. Je ne me fais pas beaucoup d'illusions, je sais que rien n'échappe complètement à son environnement socio-économico-historico-machintrucgique
Les messieurs (les dames nettement moins) se ridiculisent avec leurs panoplies de dopés, maillots cyclistes vendus plus chers parce qu'ils ont de la pub dessus. Ils se déroulent un film où ils concourent pour le maillot jaune ou à pois. Les cyclosportives sont des singeries de compétition, où l'on a l'illusion d'être un coureur quand on est qu'un client. Le sport de haut niveau est un opium, le sport de bas niveau est un marché. Ce marché n'est pas plus immoral qu'un autre.
Le voyage et la promenade à vélo n'ont rien à voir ni avec la course ni avec la pratique de la majorité des « cyclotouristes ». Se prendre pour un champion en réussissant à larguer les autres guignols dans la bosse du château d'eau relève davantage de l'exutoire social, ce qui est une des fonctions du sport de bas niveau, que d'un moment de détente, ce qui peut aussi être une de ses qualités.
La France est un pays où tout utilisateur de la voie publique se sent autorisé à brailler sur le cycliste de passage. La culture du sport, dont la course cycliste, en est sans doute responsable. Je n'ai rien à voir avec le sport. Que les usagers de la voie publique se contentent de me dire bonjour si mon passage et mon équipage les interpellent ! Comme je suis un garçon bien élevé, je les saluerai à mon tour.
L'objectif du sport est de gagner. La rouerie, la tricherie, la malhonnêteté, le dopage sont des moyens logiques d'arriver au résultat, au même titre que l'entraînement ou la nourriture « adaptés ». Le sport est le pire des modèles éducatifs.
Au Japon, les sumos sont de magnifiques athlètes à 18 ou 20 ans. Ils deviennent ensuite énormes, passant le plus clair de leur temps à bouffer comme des grosses vaches et à roupiller pour profiter. Être lourd est un facteur essentiel pour remporter la bataille. Ils meurent jeunes. Ils le savent. Ils sont adulés par la foule. On pourrait imaginer que les sportifs de haut niveau revendiquent leur statut de surhommes qui valent trois milliards. La confusion entre sportifs et promeneurs cesserait. Le sport serait circonscrit à sa sphère de l'élite robotisée pourvoyeuse de spectacle pour la plèbe, le reste serait du loisir. Le public est peut-être plus près d'accepter cette dichotomie que nos dirigeants politiques, économiques et médiatiques ne le croient. Les dopés ne souffrent pas d'impopularité. N'est-ce pas Richard ?
Je crains cependant que des lustres passent avant qu'une vision réaliste ne prévale, et qu'il est préférable de tenter en attendant de vider l'océan avec un dé à coudre que d'essayer de faire comprendre que je ne fais pas de sport. Me faire traiter de sportif relève à mes oreilles de l'insulte. Je n'en veux pas aux gens qui le font en croyant me faire plaisir.
La beauté du geste n'en souffre pas. Tous les sports sont des danses. Rien ne m'empêche d'admirer la grâce féline de la course de Marie-José Pérec ou des dribbles de Zinédine Zidane. Le spectacle est fascinant, comme la beauté du diable.