le doute jaillit de la peinture sur rouille
Mon ami Piano44 se demande, arguments à l'appui, si la réfection a été accomplie dans les règles de l'art, et même s'il n'y aurait pas danger à utiliser le pont rénové. Passant par là plus souvent que moi, il a d'abord remarqué et photographié les dessous de l'affaire qui l'ont fort intrigué.
"Merci pour ton article sur les ponts de la Loire. Je viens de le lire avec intérêt d'autant que je rentre de faire une balade jusqu’au pont de Thouaré. Je me suis arrêté pour observer le dessous du pont. Il ne dit pas tout Mr Jaffrelo, pour 7,5 million d’euros …., c’est la peinture qui fait tout. Certaines traverses existantes sont bouffées par la rouille. On voit le jour sur certaines ! Hélas, la réalité est plus flagrante que ma photo et ça fait peur ! Sur quoi prennent appui les pièces neuves du pont ? Au début du pont, des goussets ont été soudés sur les traverses existantes pour boucher les trous, après, il ont arrêté de souder les goussets. On voit bien le travail de préparation de soudure qui n’est pas terminé. Je crois bien que M. le Maire de Thouaré va avoir droit à un courrier de ma part, parce que je passe en dessous et que j’ai peur de me prendre des trucs sur la tête. Il y a même des endroits ou la peinture, qui doit être de très bonne qualité, a été barbouillée sur la rouille. La corrosion toujours existante explose comme un mille-feuille contenu par les rivets… La peinture est barbouillée sur les mille-feuilles pour cacher la misère !
Et quelques jours plus tard :
"Profitant de la matinée ensoleillée hier vendredi, je me suis retrouvé en tricycle sous le pont de Mauves vers 10 h 30. Qu’elle ne fût pas ma surprise de rencontrer à cet endroit un petit groupe de cinq personnes en costume, recouvert d’un gilet jaune aux marques du conseil départemental. J’ai poliment interrompu leur conversation et j’en ai profité pour leur faire part de mes observations que tu connais sur les vieilles traverses du pont etc … Une des personnes, un peu stressée, s'est alors détachée du groupe pour me confirmer que c’était l’état même des vieilles traverses qui avait justifié les travaux. Il m’a aussi confirmé, à ma demande, qu’elles ne servaient plus à rien. J’ai émis des doutes sur ses dires en parlant du porte-à-faux sur le lequel devaient maintenant s’appuyer les nouvelles traverses etc … Son stress augmentant, il m’a alors signifié fermement qu’il était en pleine réception du pont ! Je ne sais pas si mon interlocuteur était le donneur d’ordre ou le prestataire de la réfection. Je suis parti en précisant à l’assemblée que j’adresserai un courrier à Mr Grosvalet(1), histoire d’être rassuré.
La suite à suivre... Mais quand même, comment peut-on réceptionner un ouvrage trois semaines après l'avoir rouvert au public ?
(1) Président du conseil départemental, dont on attend la réponse deux ans plus tard, même si un récipissé a été réceptionné. En vertu du Principe de Buzz, il aurait sans doute été nécessaire de faire une pétition, ou de lancer un hache tag ou un truc du genre, afin de faire du bruit médiatique. Un courrier poli, mesuré et argumenté, de nos jours, a fort peu de chances de recevoir une réponse.
Les Ponts de Mauves ont donc été emballés façons Christo, traités à l'identique, puis rouverts avec un décalage à cause de la pandémie, ce dont les organisateurs des travaux ne sont évidemment pas responsables.
Le directeur des travaux réagit, voici ce qu'il m'a adressé.
Bonsoir et félicitations pour votre site,
Je souhaiterais apporter une précision sur la réfection des ponts de Thouaré que j' ai conçue et dirigée.
Les pièces de ponts métalliques sous le tablier béton n´ont plus de rôle structurel car elles sont doublées par les petits profilés situés juste au dessus.
En les remplaçant par des pièces neuves très performantes, nous avons accéléré le chantier et supprimé tout aléa en évitant les réparations, façon méthode américaine. Nous avons d'ailleurs présenté ce concept en Allemagne et aux Etats-Unis, pays qui abrite nombre de ponts treillis comme l'Angleterre à l' origine de la construction métallique au 19ème siècle.
Pour la remise en peinture, ces vieilles structures assemblées par rivetage ne peuvent éviter les coulures de rouille.
C'est pourquoi nous avons réduit de moitié le poids du pont pour soulager ces poutres aux sections légèrement réduites.
A votre disposition
Serge Jaffrelo
J'ai fait part de cette réponse à mon camarade bien plus féru que moi de technique, et il continue de douter. Honnête homme, il est allé voir plus avant dans la documentation disponible, et a trouvé un écho à la teneur de la réponse de M. Jaffrelo dans https://www.lemoniteur.fr/article/un-pont-sur-la-loire-en-version-allegee.1944194
Ouvrage d'art - L'installation de dalles en BFUP sur le tablier de 400 m a divisé par deux le poids de la structure.
L'emploi du béton fibré à ultra-hautes performances (BFUP) dans la rénovation d'ouvrages d'art est encore rare. Pourtant, pour Serge Jaffrelo, chef du service dédié au conseil départemental de Loire-Atlantique, cette solution technique cumule les avantages. Elle a d'ailleurs été mise en pratique pour le plus grand des deux ponts de Thouaré-sur-Loire. « L'emploi de dalles très minces, en BFUP structurel, connectées à la charpente métallique, nous a permis d'alléger l'ouvrage tout en réduisant les aléas du chantier et les délais grâce à la préfabrication », explique l'ingénieur ENTPE.
Infiltrations d'eau. Datant de 1882, l'ouvrage métallique de type « pont cage », long de 400 m, présentait des pathologies importantes. Faute d'étanchéité, les eaux de pluie s'étaient infiltrées jusqu'aux voûtains en briques, provoquant un délavement du mortier de hourdage et un délitement des briques. Craignant l'effondrement d'un voûtain, voire la rupture d'une pièce du pont, le département a placé l'ouvrage sous surveillance renforcée et établi un programme de réparation fin 2014.
Avec une enveloppe de 4,8 millions d'euros HT, le premier programme technique prévoyait douze mois de travaux et un arrêt total de la circulation. Les vives réactions des usagers ainsi que les futurs besoins d'une traversée douce de la Loire ont conduit le département, assisté par Artelia, à revoir sa copie, en prévoyant une possibilité d'accroche pour d'éventuels encorbellements. « Il est vite devenu évident que la réparation des voûtains à l'identique ou une alternative de type dalle en béton armé ne permettaient pas de dégager une réserve de capacité portante suffisante pour accueillir les piétons et les cyclistes sur l'ouvrage, raconte Serge Jaffrelo. « Il nous fallait sortir des vieilles recettes, imaginer de nouvelles solutions techniques. Nous avons alors eu l'idée d'utiliser du BFUP pour ses qualités mécaniques. » L'appel d'offres a été lancé sur la base de ce nouveau programme technique à l'été 2016. Moins chère, et offrant surtout une réduction à six mois de la durée du chantier, l'offre de Bouygues TP Régions France et sa filiale VSF a été retenue en novembre. Les travaux ont imposé une fermeture du pont dans les deux sens de la circulation pendant six mois. L'ouvrage a été mis à nu, décapé, et la charpente métallique remise en peinture. Quelque 2 300 t de voûtains en briques et matériaux de chaussée ont été déposés.
Un procédé qui pourrait faire école. Sur les pièces de pont saines, ont été ensuite boulonnés des profilés métalliques neufs et indépendants qui reprendront seuls toutes les charges routières. La semelle de 30 cm de large de ces profilés reconstitués soudés (PRS) a permis la pose des dalles BFUP préfabriquées et leur clavetage. Pour des raisons économiques, les profilés présentent des formes standard, tandis que le dévers de la chaussée est repris par les dalles dont l'épaisseur varie de 7 à 12 cm.
« Cette solution allège le pont de plus de 1 500 t, soit près de la moitié du poids propre de la structure existante » se félicite Serge Jaffrelo. Le responsable a déjà prévu de l'employer pour la rénovation des ponts de Mauves-sur-Loire, à quelques kilomètres en amont, soit 600 m de tablier à remplacer. En attendant, il présentera son chantier dans les colloques internationaux : avec le plus long tablier en BFUP d'Europe, le pont de Thouaré-sur-Loire intéresse les ingénieurs du monde entier.
Maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'œuvre : conseil départemental de Loire-Atlantique. Maîtrise d'œuvre d'exécution : Cogeci.
Mon commentaire :
Les précisions apportées dans le message se veulent rassurantes. Les usagers qui voient la rouille sous les ponts pourtant refaits à neuf ne sont peut-être pas complètement rassérénés pour autant, car repeindre sur de de la rouille reste contre-intuitif, plus encore pour un cycliste pour qui le soin apporté à sa machine est la condition indispensable à son bon fonctionnement.
Davantages de précisions techniques dans la communication, par la voie de la presse locale et/ou le site du Conseil Départemental par exemple, auraient probablement permis de mieux informer ces usagers. Cette communication n'est pas a priori du domaine de Monsieur Jaffrelo. Elle est d'abord politique, via les services de communication, mais les politiques n'ont pas daigné répondre.
Merci à Monsieur Jaffrelo d'avoir pris le temps d'apporter ces éléments de réponse.
Quelques temps plus tard, force est de constater que les ponts de Thouaré et de Mauves n'ont suscité, à ma connaissance, aucun accident ou incident lié à la rouille visible.